04 septembre, 2016

Cheval au garage

Depuis le plus jeune âge j’ai voulu pratiquer l’équitation. Mais pour maintes raisons, je n’ai pu m’y inscrire pour la première fois seulement arrivée à l’université. Ayant attendu tout ce temps avant de pouvoir monter, je m’étais construit tout une idéologie autour de l’équitation, et ne m’attendais surtout pas au ressenti que j'ai eu lorsque ce fut enfin le cas. Habitant la capitale, le centre équestre le plus proche était, pour une raison évidente de place, de très petite taille. Pourtant, il accueillait beaucoup de chevaux, et les élèves les montaient à la chaîne.
Le premier jour, on me désigne le cheval avec qui je découvrirai ce sport. On m’explique comment le munir de ses harnais et de sa selle, comment le brosser, et comment lui curer les sabots. Alors que je commence à le brosser, je sens les poils du cheval qui se hérissent, puis il se crispe tout entier. Je me dis: “Peut-être que je le brosse trop fort?” Il ne voulait pas du tout être brossé. Au fur et à mesure du temps, j’ai fini par comprendre que les chevaux étaient brossés beaucoup trop souvent par jour, seulement pour que les élèves respectent la liste de “soins” à faire. Mais cela devenait une torture pour le cheval. Depuis ce moment, j’ai commencé à analyser davantage les conditions de ces chevaux dans leurs petits box, et quelle vie ils menaient.
Premièrement, un cheval a besoin de liberté, d’un grand espace dans lequel il peut courir quand bon lui semble. La vie d’un cheval, au moins au sein de ce centre équestre pour ne pas parler trop généralement, - car je ne considère pas en avoir visité un assez grand nombre pour établir une moyenne -, consiste à vivre dans quelques mètres carrés, juste ce qu’il faut pour qu’il soit capable de se retourner. Il vit dans ses excréments la grande majorité du temps, car les personnes responsables ne peuvent pas toujours être là pour nettoyer. Ainsi, il mange, dort, et fait ses besoins dans ce même box. Pendant la journée, qu’il en ait envie ou non, un humain surgit dans son box, le brosse si fort que ça lui en irrite le cuir, lui fourre un énorme bout de fer désagréable dans la bouche, et lui jette une lourde selle sur le dos, avant de le tirer hors de son box.
Quelques mètres à parcourir et il se retrouve dans un petit parc fermé, ou on le fait marcher en rond, dans un espace si petit que sa tête manque de se cogner à l’arrière d’un autre cheval, et, une dizaine à se suivre de la sorte, donnent l’impression d’être des chevaux de manèges pour enfants, tournant en rond le regard vide. Par jours de beau temps, et quand le moniteur en a envie, les cours se passent à l’extérieur du centre, dans le bois à proximité. Mais pour y parvenir, il faut parcourir environ 2 km de route, trotter côte à côte avec des voitures qui, parfois, semblent ne pas considérer les chevaux, et roulent si près d’eux qu’ils ne manquent de les heurter. Il est peu difficile de s’imaginer à quel point ils sont stressés à ce moment-là. Ils ne peuvent apprécier la balade dans les bois, alourdis par leurs accessoires et par un humain qui ne cesse de tirer sur le harnais, leur déchirant la bouche, et toujours traumatisés par les voitures. Puis rapidement, ils doivent endurer une nouvelle fois cette traversée de la mort avant de retourner dans leur petit box pour un peu de “tranquillité”.
Parfois un cheval s’énerve, car, comprenons-le, il ne supporte plus que sa vie se résume à ça. Il y avait un cheval constamment sur les nerfs, si bien qu’il était difficile pour tous de le maîtriser. C'était un cheval “âgé”, à un an de la retraite. J’avais envie de lui dire d’être patient, que son calvaire se rapprochait de la fin. Puis, seulement de la tristesse m’envahissait, en me rappelant à quoi sa vie s’était résumée. Il aurait dû vivre toute sa vie dans un grand pré, pas seulement les quelques années qui lui restent. S’il lui reste des années! Car un cheval ayant été monté toute sa vie voit son espérance de vie diminuer de façon aberrante. Et, de façon plus générale, un cheval ayant fréquenté l’homme, qui souvent ne suit pas son rythme naturel, voit son espérance de vie chuter de manière révoltante. Ayant une longévité de 50 ans, son espérance de vie est descendue à seulement 15 ans. (1)
Il convient alors de se rendre compte de ce qui fait autant chuter l’espérance de vie des chevaux domestiqués (si ce n’est exploités) par l’homme.

La nécessité de se rendre compte des besoins vitaux du cheval avant de le domestiquer

Le poids à supporter

Commençons par évoquer tout le poids que le cheval a à porter au cours de sa vie. Si l’on compte un selle dont le poids atteint aisément les deux chiffres (on peut prendre l’exemple de la selle américaine atteignant facilement les 15kg), et le poids du cavalier, le cheval passe son temps à supporter une lourde masse sur son dos. De plus, certains cavaliers d’endurance ont parfois usage d’un tapis plombé en guise d’amortisseur, qui se place entre la selle et le tapis. Certains cavaliers témoignent du fait que leur cheval se blesse plus facilement lorsqu’il est équipé de la sorte. Il ne faut pas s’étonner qu’il souffre rapidement de problèmes locomoteurs. Il faut noter qu’aujourd’hui, environ 10% des causes de décès équins sont dus à des problèmes locomoteurs, ce qui est non négligeable, car cette cause de décès est placée au deuxième rang après les trouble digestifs. Par ailleurs, 65% des convalescences et des arrêts momentanés d’activités des chevaux de course sont dus à ces mêmes problèmes locomoteurs (2). Je tiens maintenant à évoquer un point sensible pour certains: lorsque j’étais au centre équestre, les moniteurs n’hésitaient pas à confier un cheval de très petite taille à un élève de forte corpulence. Par simple question de logique, à mon avis, on ne devrait monter un cheval que si notre poids n’excède pas une certaine proportionnalité raisonnable avec celui du cheval.

Espace de vie

Le cheval, comme tout animal, a besoin d’un grand espace de vie pour s’épanouir. C’est un critère incontournable pour un individu qui doit courir 10 à 20 kilomètres par jour (3). L’être humain, être paresseux, a la fâcheuse tendance de se rendre la vie plus facile en ramenant tout à sa disposition. Or, le cheval ne fait pas partie des choses que l’on devrait pouvoir ramener à soi comme bon nous semble. Il ne devraient pas y avoir de chevaux trop proches des villes que ce soit pour des raisons de place, mais aussi de qualité de l’air (pollution) et d’eau. Les personnes se disant "passionnées de chevaux" devraient pouvoir faire l’effort de respecter ce besoin le plus naturel qu’a le cheval, qui est de pouvoir gambader librement comme bon lui semble. De manière semblable, un cheval ne devrait pas être monté trop souvent. Dans l’idéal, le cheval domestiqué devrait être “semi libre” ce qui veut dire dans un enclos mais d’une assez grande taille pour qu’il se sente libre. Lorsque son “maître” désire le monter, le cheval viendrait sans rechigner, et serait content de se faire monter dans ces conditions-là. Car aujourd’hui, on a dû l’oublier, mais le comportement d’un cheval qui a vécu heureux dans un grand espace est très similaire à celui d’un chien. Il est joueur et de bonne humeur. Si on le Compare aux chevaux surexploités, il semblerait que ce soient deux espèces totalement différentes.

Le cheval n’est pas un véhicule

Un détail que beaucoup semblent oublier, est que le cheval ne se compare pas à un véhicule. Les chevaux, lorsqu’ils sont malades, sont emmenés chez le vétérinaire (garagiste) qui leur administre des anti-inflammatoires, une névrectomie… Le tout uniquement pour qu’il ne sente plus la douleur et qu’il soit montable pour les prochaines courses (ou autres activités) sans se soucier du fait qu’il n’est pas réellement “réparé”, et que l’exploiter dans de telles situations revient à le tuer à petits feux.
Un élément qui traduit bien de la surexploitation des chevaux pour moi sont les fers. Un cheval sauvage n’a pas besoin d’être ferré. Mais à raison de séances de travail trop intenses, l'usure de ses sabots devient importante. Alors, ce n’est qu’à cause de l’exploitation humaine que la repousse naturelle de la corne des chevaux ne peut être plus rapide que son usure. Cela devrait être pris en compte lorsque l’on fait travailler un cheval. On devrait pouvoir le faire travailler que de façon à ce qu’il n’ait pas besoin de fers. Il faut noter que le ferrage “participe à une mauvaise élimination des toxines”(4) et ainsi est responsable de graves désordres. Ne pas surexploiter un cheval est la base pour lui promettre une bien plus longue espérance de vie.

Nourriture

Nous arrivons maintenant à la première cause majeure de décès des chevaux domestiqués: les troubles gastriques appelés coliques. Les chevaux sauvages passent 70% de leur temps à manger, ce qui revient à 12 à 15 repas par jour. Tout d'abord, en tant que mammifère brouteur herbivore monogastrique, le cheval n’a pas le transit intestinal qui convient pour accueillir une alimentation faite à base de graines. Effectivement, “les granulés, trop rapidement ingérés, réduisent dangereusement la mastication nécessaire au déclenchement digestif”(5). Ensuite, l’homme le contraint à un rythme qui ne lui convient pas du tout. Les 3 repas qu’on lui administre sont responsable d’une rapide surconsommation de nourriture par le cheval, dont découlent inévitablement des problèmes gastriques mais aussi un ennui certain. Car le cheval n’a plus rien à faire entre les repas, et ne peut même pas se défouler en allant galoper, étant cloîtré dans son box.
En box, d’ailleurs, pour compenser cet ennui, le cheval n’hésite pas à mâcher sa porte ou sa litière et risque avec la paille et les copeaux de s’endommager le gros intestin (6). Les chevaux gardés dans des paddocks ou dans des prés - ceux-ci pollués au sol par l’urine et les crottins -, pour passer le temps, “grignotent des aliments ou de la terre porteurs de germes. De leur côté les granulés, trop rapidement ingérés, réduisent dangereusement la mastication nécessaire au déclenchement digestif”(7). Pour revenir au rythme que l’humain impose au cheval, le fait de l’enfermer pendant la nuit est contraire à la nature même du cheval, qui est un noctambule. De fait, l’alimentation du cheval et sa liberté de locomotion sont très liés. Ainsi, la sédentarité d’un cheval et une mauvaise alimentation sont responsables de dérèglements comportementaux des chevaux, ce qui les rendent incapables de s’assurer un transit intestinal conforme (8).

Les méfaits du mors

Le mors est ce bout de ferraille qui est placé dans la bouche du cheval, et qui est censé faciliter sa direction. Il n’est pas difficile de se rendre compte pourquoi le cheval déteste tant cette chose qu’on lui impose. Imaginez vous avec un tel objet dans la bouche. Étant désagréable de fait, il est de surcroît utilisé pour vous tirer la tête en arrière par la bouche afin de vous arrêter dans votre course, et par la même, vous irrite, et pouvant même aller jusqu’à vous déchiqueter les parois buccales. Mais ce n’est pas là le seul point négatif du mors, loin de là. Il génère des troubles respiratoires et dentaires, interfère sur la locomotion, provoque des douleurs et des ulcérations buccales. En effet, le mors le fait saliver, ce qui déclenche une mise en route digestive alors que l'estomac est vide (9). En réalité, un cavalier n’a pas besoin de mors pour diriger son cheval. Il suffit d’une relation harmonieuse entre les deux individus pour que le cheval soit à l’écoute des volontés de son cavalier, et pour qu’il soit heureux de lui obéir. La sur-utilisation du mors est simplement le résultat d’une mauvaise relation entre les deux, ou d'une non relation dans le cas d'un club où l'on se voit attribuer une monture différente à pratiquement chaque cours. Et en aucun cas le mors sera la solution à ce propos.

Quand ethique confronte économie

Aujourd’hui, en arriver à respecter les besoins vitaux des chevaux serait une perte économique considérable. Alors, on préfère fermer les yeux et mettre ces désordres sur le compte d’une mauvaise évolution, ou d’une épidémie ne touchant que les chevaux et tous les chevaux. Les vétérinaires spécialisés en équidés, censés être les meilleurs amis des chevaux, ne sont en réalité devenus que des spécialistes en matière de coliques, qu'il ne soignent pas réellement, cela sans même donner conseil pour leur prévention. Et si les chevaux n’en étaient plus atteints, ils verraient leur salaire chuter considérablement. Ensuite, la deuxième catégorie d’individus qui profitent de ce mal-être des équidés sont les producteurs de graines; qui verraient leur business couler immédiatement si une réforme interdisant toute administration de nourriture non convenable aux chevaux était adoptée.
Par ailleurs pour les propriétaires de chevaux qui spéculent sur leur tête, il serait temps de se rendre compte que les mauvais traitements dont ceux-ci sont victimes sont l’unique raison de leur incapacité de performance, vieillesse ou mort prématurées. Mais aujourd'hui et depuis trop longtemps maintenant, lorsque le cheval coûte plus qu’il ne rapporte, il est d’usage de s’en débarrasser en le revendant en abattoir par usage de fraude ou escroquerie, et lorsqu'on a poussé le cheval à bout et qu'il souffre constamment de désordres intestinaux ou locomoteurs, on l'euthanasie pour mettre un terme à ses souffrances...souffrances causées par son propriétaire.

CONCLUSION

Les chevaux sont des êtres sensibles qui ne méritent pas la vie qu’on leur impose. D’importants changements sont plus que nécessaires pour le bien-être de l’espèce. Interdire l’enfermement des chevaux et imposer de leur administrer une alimentation qui leur convient serait la base. Ensuite, il faudrait interdire une surexploitation des chevaux, qui ne sont ni véhicules, ni objets financiers. Mais comment arriver à ces changements? Cela reviendrait à réformer entièrement la façon unanime de penser, et la manière dont on transmet l’enseignement des soins à administrer aux chevaux. De plus, un tel changement engendrerait une mise à l’écart temporelle obligatoire de toute la partie économique liée aux chevaux, et cela semble impossible de nos jours. Mais ce n’est pas pour autant une raison d’abandonner, car le plus gros obstacle aujourd’hui est le fait que la plupart des gens ne soient pas conscients de ces problématiques majeures.



NOTES

(4) Id.
(5) Id.
(6) Id.
(7) Id.
(8) Id.
(9) Id.

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