07 septembre, 2016

La "gestion" des déchets nucléaires - L'exemple de Cigéo à Bure


Le nucléaire est une ressource énergétique qui, à son entrée en scène, semblait être une innovation qui pourrait alimenter la planète en énergie de manière efficace. Mais alimenter la planète en énergie est une chose, y arriver sans l’endommager ni même la détruire en est une autre. Autour du nucléaire gravitent de nombreuses problématiques. Nous avons déjà eu beaucoup d’exemples de la puissance néfaste du nucléaire. Tout d’abord avec la création de la bombe atomique, puis avec la gestion du nucléaire au quotidien. La liste des accidents est longue. Rien que ceux n’ayant eu un impact uniquement dans l’enceinte des usines ne sont pas négligeables, et sont une preuve de l’inconstance du contrôle que l’homme exerce sur le nucléaire. Chaque erreur humaine minime peut être la cause de grave accidents. Et parfois, un accident peut survenir même en l’absence d’erreur humaine. “En dehors de catastrophes telles que celles de Tchernobyl et de Fukushima, les médias ne relaient pas, ou peu, les incidents et accidents qui surviennent régulièrement au sein des installations nucléaires dans le monde”(1). Aussi, il nous a été bien montré que les catastrophes naturelles peuvent être, elles-aussi, à l’origine de graves accidents nucléaires. D’autre part, le nucléaire n’est pas une source d’énergie renouvelable, mais au contraire produit une masse de déchets considérable qu’il devient difficile de stocker. La production française de déchets nucléaires par an est de l’ordre de 50 000 tonnes, ce qui représente 20 à 25 000 m3(2).
Nous sommes bien avancés, car pour de l’énergie qui aurait pu être fournie par des centrales éoliennes, hydrauliques géothermiques, ou de nombreuses autres ressources d’énergie renouvelables, et qui ne produisent aucun déchet, nous nous retrouvons avec cette masse de déchets hautements toxiques, qui ne doit être à l’encontre d’aucune faune ou flore sous risque de graves contaminations. Que faire de ces déchets mortels?

  • Composition et dangerosité des déchets nucléaires

Définition des déchets nucléaires et leur classification

Tout d’abord, il s’agit de comprendre ce qu’est réellement un déchet nucléaire. Selon la définition de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), un déchet radioactif est « toute matière pour laquelle aucune utilisation n'est prévue, et qui contient des radionucléides en concentrations supérieures aux valeurs que les autorités compétentes considèrent comme admissibles dans des matériaux propres à une utilisation sans contrôle »(3). En d’autres termes, ne sont considérés comme des déchets nucléaires que les éléments radioactifs devenus inutilisables et dont aucune utilisation ultérieure n’est envisagée(4), et dont le caractère radioactif est suffisamment élevé pour nécessiter des dispositions de contrôle de radioprotection. Les déchets nucléaires ont chacun un niveau de radioactivité différent. En France, ils sont classés selon leur niveau de radioactivité et leur durée de vie.(5) Les déchets sont alors soit très faiblement, faiblement, moyennement ou hautement radioactifs. Les déchets contenant une majorité de substances à vie courte sont appelés déchets à vie courte, et ceux contenant une majorité de substances à vie longue sont appelés déchets à vie longue. En France, il existe 5 catégories de déchets radioactifs classés de la manière suivante:



- les déchets de très faible activité (TFA),

- les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC),

- les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL),

- les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL),

- les déchets de haute activité (HA).(6)

Alors, plus un déchet est considéré comme dangereux, plus son stockage doit être placé en profondeur. De surcroît, “certains déchets contenant une quantité trop importante de tritium (hydrogène radioactif) doivent être entreposés avant stockage afin de permettre la décroissance de ce tritium, dont la période radioactive est d’environ 12 ans”(7). Il faut noter que les déchets radioactifs proviennent principalement de l’industrie électronucléaire (à environ 59% en volume) mais sont également produits dans le cadre d’autres activités telles que le secteur de la recherche (26%), de la défense (11%), du médical (1%), etc.(8)

Des déchets nucléaires déversés dans l’environnement

Il a été découvert en Russie, au sein de la mer de Barents, à la suite du naufrage du sous-marin nucléaire russe “Koursk” le 12 août 2000 avec ses 118 hommes d'équipage à la suite d'une série d'explosions à son bord (9), que des déchets nucléaires y avaient été déversés. Cela s’est produit au moment où l’ex-URSS entretenait 7 bases militaires secrètes aujourd’hui à l’abandon (le long de la presqu’île de Kola, dans la région de Mourmansk) (10). Ainsi qualifiée de “poubelle nucléaire”, la mer de Barent contient à ce jour “21 000 m3 de déchets radioactifs solides, plus de 7 000 m3 de déchets liquides contaminés, plus de 20 000 objets irradiés, quelque 250 réacteurs nucléaires et surtout 88 sous-marins déclassés dont 52 encore chargés en combustible”(11). Certains villages étaient venus s'installer autour des bases lorsqu’elle étaient actives pour en vivre...à leur plus grand regret.
Ces déchets radioactifs ont été jetés dans la mer de Barents avant la fin du communisme. On parle à l'époque de leur découverte d'un « Tchernobyl au ralenti », notamment de par les risques de contamination de l'océan Atlantique par la mer de Norvège(12). Et cela est loin d’être faux, car la mer de Barents a longtemps été un site de pêche très exploité (et trop exploité), et il est temps de se demander combien de poissons radioactifs ont pu être ingérés en provenance de cette mer? En sachant que les poissons principalement exploités depuis les années 70 sont la morue et les églefins.(13)
Cet épisode n’est pas ce qu’on peut qualifier de gestion, mais plutôt de non gestion totale de déchets nucléaires par l’ex URSS. Alors, on se rend compte que lorsque des déchets nucléaires sont mal gérés, c’est tout un écosystème qui en pâtit et des vies qui sont mises en péril.

  • Gestion des déchets nucléaires à haute activité

Traitement-recyclage des combustibles radioactifs usés

“Le traitement-recyclage permet de réduire la quantité de déchets radioactifs produits par une nouvelle utilisation des matières radioactives avant qu'elles ne deviennent des déchets radioactifs à l'issue d'un prochain cycle de recyclage.”(14) Cette réutilisation ne pouvant être réalisée indéfiniment, il a fallu commencer à songer à des alternatives de stockages. Pendant ce temps, au fur et à mesure des années, la quantité de déchets hautement radioactifs s’est accumulée, et il devient de plus en plus difficile de les stocker. C’est alors qu’en France est intervenu l’Andra avec son projet aberrant appelé CIgéo.

Projet CIGEO aujourd’hui condamné


Un projet qui avait été annoncé comme étant une solution miracle est le projet CIGEO (Centre Industriel de stockage GÉOlogique). Il s’agissait d’un enfouissement programmé des déchets nucléaires les plus nocifs (15). L’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) était à l’origine de ce projet qui est entré en phase de conception industrielle en 2012. (16) L’Etat avait ciblé, à la plus grande malchance de ses habitants, le petit village de Bure de 92 habitants, à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, et cela dès 1994. Car mieux vaut choisir un site présentant le moins de risques de contestations pour y implanter un projet illégal. A cette époque, il était dit qu’il s’agissait d’implanter à 500 mètres de profondeur un "laboratoire de recherches scientifiques souterrain", d’une surface de 15km². A terme, ce souterrain devait accueillir approximativement 10 000m3 de déchets HAVL (Haute Activité à Vie Longue) ainsi que 73 500 m3 de déchets MA-VL (Moyenne Activité à Vie Longue), soit au total, environ 100 000m3 des déchets radioactifs les plus dangereux, stockage prévu pour durer 100 000 ans… (17) Pour réaliser ce projet, l’Andra a entamé le défrichement du bois Lejuc sans aucune autorisation, et par la même, a entrepris la construction d’une grand mur de 3km de long et de 2m de haut.

Aussi, “deux sites nucléaires en surface de 280 et 90 hectares dotés d’une zone de stockage intermédiaire accueilleraient les déchets le temps nécessaire à leur refroidissement ainsi qu’une usine de reconditionnement afin de compacter certains déchets dans leur format définitif de stockage”(18).

Ce site aurait notamment été doté “d’infrastructures de liaison, à savoir des puits verticaux pour acheminer le personnel et les engins de chantiers et une rampe d’accès, appelée « descenderie » pour enfouir les déchets radioactifs”(19).
“GIGEO s’annonçait comme le chantier le plus long, coûteux et irresponsable du siècle. Selon les estimations de l’ANDRA elle-même, le projet aurait dû coûter environ 35 milliards d’euros, la fin des travaux étant prévue pour 2156…”
Ce stockage en profondeur des déchets nucléaires était loin d’être une solution viable.
Alors, des citoyens et associations se sont mobilisés afin d’y mettre un terme le plus rapidement possible.
Suite à ces actions, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a donné raison, le 1er août 2016, aux huit associations et aux quatre habitants de Mandres-en-Barrois qui, dans un référé déposé le 25 juillet, exigeaient l’arrêt des travaux effectués par l’ANDRA. “Le TGI ordonne la suspension des travaux de défrichement jusqu’à ce que l’ANDRA obtienne une autorisation (sous astreinte provisoire de 10 000 euros par are nouvellement défriché). Il enjoint de même à la remise en état des lieux sauf autorisation obtenue par l’ANDRA dans un délai de 6 mois.”(20) 7 hectares du bois ont tout de même déjà été détruits, et le sol avait été arraché et recouvert de graviers.(21)
“D’après la décision du tribunal cette remise en état des lieux doit être entendue comme “une restitution de l’état boisé de l’ensemble des parcelles défrichées, nécessitant la suppression du géotextile, de l’empierrement et de la clôture en murs de béton – au vue de l’importance de son emprise – et la replantation dans le respect du plan d’aménagement forestier du bois Lejuc arrêté par l’Office National des Forêts pour 2007-2018”(22)
Cette décision inclut notablement trop de possibilités pour l’ANDRA de se défaire de sa condamnation et de reprendre ses travaux.
Alors, d’autres recours et actions sont en préparation pour enfin rendre le Bois Lejuc aux habitants de Mandres-en-Barrois et donner un coup d’arrêt au projet CIGÉO.(23)

CONCLUSION

En vérité, les responsables de la gestion du nucléaire ne savent plus quoi faire des milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs, et peinent à trouver une solution pour leur stockage. Leur destruction n’étant pas possible, et leur stockage en surface trop dangereux et nécessitant trop d’espace et de contrôle, il ne serait pas étonnant que d’autres projets semblables au projet CIGEO soient mis en place. En réalité, nous ne pouvons plus continuer à accumuler ces déchets et envisager une transition énergétique paraît indispensable dans un futur proche. L’ampleur de la nocivité et de la dangerosité du nucléaire en général devrait faire germer dans les esprits une prise de conscience de l’inutilité de cette ressource énergétique, et de l’urgence de son remplacement.


Rédigé par Camille Büchs

NOTES

(3) « Managing Radioactive Waste » [archive], sur IAEA (consulté le 26 avril 2010)
(4) Définition des déchets radioactifs dans le Code de l’environnement
(6) Id.
(7) Id.
(11) La mer de Barents est une poubelle nucléaire Jacqueline Meillon ; Publié le 16.08.2000 Le tout réparti le (...) http://www.sortirdunucleaire.org/Nucleaire-des-accidents-partout  
(12) Id.

(16) Id.
(18) Id.
(19) Id.
(20) Id.
(22) Id.
(23) Id.

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